Haïti saigne.Sous le poids des balles, de la faim, de l’exil. Sous l’indifférence de ses dirigeants et la complicité silencieuse d’un ordre international qui regarde ailleurs.Et dans cette hémorragie nationale, le drapeau haïtien lui-même vacille. Le symbole suprême de l’unité, de la liberté conquise, ne flotte plus au vent de la souveraineté.
Le drapeau est devenu orphelin. Orphelin d’État. Orphelin de peuple réuni.À l’Arcahaie, là où tout a commencé, aucune célébration officielle ne peut avoir lieu. Trop de gangs, trop de peur, trop de chaos.Le pouvoir exécutif préfère fuir vers le Cap-Haïtien, entouré de militaires, d’escortes, de tapis rouges et de fonds publics détournés — pendant que la République s’effondre sous les pieds des enfants déchaussés.
Que vaut un drapeau qu’on n’ose plus lever dans sa propre capitale ? Que signifie la couleur bleue, si elle ne protège plus les enfants sur le chemin de l’école ?
Que signifie la couleur rouge, si ce n’est plus celle du sang des héros, mais du sang des innocents abattus dans les rues ? Ce n’est plus seulement le pays qui est pris en otage. C’est l’âme de la nation.
Le drapeau haïtien est en danger, parce que le sens même de la nation est en train de se désintégrer.
Quand l’État devient étranger à son propre peuple,
quand les écoles ferment mais les salons VIP se remplissent, quand la jeunesse défile avec des pancartes au lieu de cahiers —alors le drapeau n’est plus honoré. Il est utilisé, vidé, violé.
Et pourtant, au milieu du sang et des cendres, des enfants en uniforme osent encore rêver.
Ils marchent. Ils crient. Ils questionnent.
Ils réclament ce que le drapeau leur a promis :
dignite, lekòl, sekirite, respè.
Ce ne sont pas les autorités qui portent aujourd’hui le drapeau d’Haïti. Ce sont ces enfants. Ceux qui n’ont ni escorte ni costume, mais qui avancent, têtes hautes, sur les ruines d’une République à reconstruire. Le drapeau est entre leurs mains. Froissé, mais pas abandonné. Blessé, mais pas mort.
Haïti saigne. Mais dans chaque goutte, il y a une mémoire. Et dans chaque mémoire, une révolte.
Le drapeau haïtien saigne aussi. Mais s’il nous reste un souffle de dignité, un fil de conscience, une étincelle de courage,alors nous le réparerons. Nous le relèverons. Et nous marcherons avec lui, non dans la fête, mais dans la lutte.
Smith PRINVIL