La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre : dans plusieurs quartiers, l’électricité est revenue. Ampoules allumées, réfrigérateurs relancés, téléviseurs rallumés. Dans les maisons, les cris de joie ont fusé. Les enfants ont dansé. Les parents ont soupiré de soulagement. Et partout, le même sentiment partagé : enfin.
Mais ce moment d’euphorie collective, aussi émouvant soit-il, nous oblige à une réflexion profonde et douloureuse : comment avons-nous pu tomber si bas, au point de célébrer ce qui devrait être garanti ? Depuis quand faut-il acclamer ce qui, dans toute société digne de ce nom, relève du plus strict minimum ?
L’accès à l’électricité n’est pas un privilège. C’est un droit fondamental. Il est inscrit dans les principes mêmes de la dignité humaine, au croisement du développement, de la santé, de l’éducation et de la sécurité. Or, en Haïti, ce droit a été lentement vidé de sa substance, rongé par l’inaction de l’État, le sabotage politique, la corruption institutionnalisée et la résignation collective.
Pendant des années, des millions de citoyens ont été plongés dans une obscurité physique et symbolique. Des enfants ont fait leurs devoirs à la lueur de bougies. Des hôpitaux ont fonctionné au diesel, quand ils en trouvaient. Des entrepreneurs ont fermé boutique, faute de courant. La pénombre est devenue norme. Et aujourd’hui, la lumière, une faveur.
Il est temps de nommer les choses. Ce rétablissement du courant ne doit pas être interprété comme un cadeau, mais comme un rattrapage tardif. Ce n’est pas une victoire politique. Ce n’est pas un succès à brandir. C’est une dette partiellement honorée, et encore, sans transparence, sans planification à long terme, sans justice énergétique.
La vraie question n’est pas : « pourquoi le courant est-il revenu ? », mais bien : « pourquoi avait-il disparu aussi longtemps ? » Et surtout : « que fait-on pour qu’il reste ? Pour qu’il soit équitablement distribué ? Pour qu’il devienne un acquis irréversible, et non un outil de contrôle ou de manipulation sociale ? »
Les cris de joie d’un peuple privé de l’essentiel sont à la fois bouleversants et révoltants. Ils sont le miroir de notre abandon. Mais ils sont aussi l’étincelle d’une conscience qui se réveille. Car un peuple qui se réjouit d’une lampe qui s’allume est aussi un peuple prêt à rallumer sa souveraineté.