Haïti : vivre le handicap dans l’ombre de la violence

Dans une ruelle poussiéreuse du quartier de Carrefour-Feuilles, transformé en zone de guerre urbaine depuis des mois, Clarens, 32 ans, avance lentement sur ses béquilles. Sa jambe gauche a été amputée en 2021, après qu’un gang armé l’a pris pour cible alors qu’il sortait de son domicile. Depuis, sa vie est suspendue : impossible de se déplacer rapidement, de fuir les fusillades, ou même de faire la queue pour un sac de riz.

« Quand les tirs commencent, tout le monde court. Moi, je dois juste m’allonger et prier », murmure-t-il. Autour de lui, les murs criblés de balles et les maisons abandonnées témoignent de l’intensité du conflit. Clarens, comme des milliers d’autres personnes handicapées en Haïti, vit dans un silence assourdissant. Un silence médiatique, politique, et institutionnel.

Depuis que les gangs ont pris le contrôle de vastes portions de la capitale, plus de 360 000 personnes ont été déplacées, selon les Nations unies. Pourtant, très peu de données existent sur celles qui, comme Clarens, vivent avec un handicap. « On parle des déplacés, des femmes, des enfants… mais jamais de nous », dit-il. « C’est comme si on n’existait pas. »

À Delmas 33, Marie-Louise Joseph, en fauteuil roulant, vit seule depuis que sa fille a fui vers le sud du pays. L’eau ne coule plus depuis des semaines. Les distributions de nourriture sont rares, et souvent inaccessibles. « Je les entends passer dans les rues avec des haut-parleurs, mais ils parlent trop vite. Et puis, je ne peux pas sortir seule. Je n’ai pas d’aide. »

Haïti a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits des personnes handicapées. En théorie, ces citoyens devraient avoir accès aux mêmes droits, services et protections que les autres, même – et surtout – en situation d’urgence. Dans les faits, la priorité reste aux plus visibles.

« Il n’y a presque jamais de consultation avec les personnes handicapées dans l’élaboration des plans d’urgence », explique Pierre-Richard Molière, responsable de l’ONG Kouraj. « Et même les structures humanitaires internationales ne prévoient pas de dispositifs spécifiques. On distribue les rations à ceux qui peuvent marcher jusqu’au camion. Les autres ? Ils restent chez eux, affamés. »

Pourtant, les solutions ne manquent pas : kits livrés à domicile, abris accessibles, messages audio simplifiés, équipes mobiles avec interprètes en langue des signes. Mais très peu sont mises en œuvre. « On nous dit que c’est une question de budget. Mais combien coûte une vie ? », s’interroge Josette François, à la tête d’un centre communautaire à Cap-Haïtien.

Et malgré tout, dans l’obscurité, certains tiennent. Clarens continue de réparer des radios pour les voisins, en échange de pain. Marie-Louise élève des poules sur sa terrasse pour survivre. « On ne nous voit pas, mais on est là », dit-elle en souriant doucement.

Haïti traverse l’une des pires crises de son histoire. Mais elle ne pourra jamais se relever tant que ses citoyens les plus vulnérables resteront oubliés dans les décombres. Raconter leur histoire n’est pas une faveur. C’est une nécessité. C’est aussi un devoir.

 

Smith PRINVIL

Apwopo Emmnanuel Hubert

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