Monument de la musique jamaïcaine depuis plus d’un demi-siècle, le chanteur Jimmy Cliff est mort le 24 novembre à l’âge de 81 ans. S’il a fait danser la planète et traversé les générations avec « Reggae Night » ou « Hakuna Matata », il a joué en Afrique un rôle à la fois pionnier et dans la durée pour y faire connaitre le genre musical qu’il avait embrassé, soulignant sa dimension socio-politique. Tout au long de sa carrière, cet artiste voyageur a développé des relations aussi solides que profondes avec le continent.
Tout avait bien commencé : la première fois qu’il a posé le pied en Afrique fin 1974, Jimmy Cliff a reçu un accueil auquel il ne s’attendait pas. Dès l’aéroport, racontait-il, une foule s’était déplacée pour saluer son arrivée au Nigeria. D’un point de vue historique, l’auteur de « Many Rivers to Cross » est le premier reggaeman à se produire sur le continent si cher au mouvement rasta. Plusieurs concerts ont lieu à travers le pays. À Lagos, au stade Surulere, la star nationale Fela y assiste.
Le roi de l’afrobeat invite le Jamaïcain à passer la soirée dans son quartier général, la République de Kalakuta. Mais le séjour nigérian prend tout à coup une autre tournure. « Une haute cour de Lagos a ordonné l’arrestation de Jimmy Cliff, un artiste jamaïcain renommé », lit-on dans le quotidien ghanéen Daily Graphic du 12 décembre. En cause, une histoire de rivalités entre promoteurs locaux et de contrat non respecté. Libéré après trois nuits en détention, le chanteur a relaté cet épisode mis en musique dans la foulée en studio sur la chanson « The News ». S’il en a conservé un souvenir doux-amer, jamais cela n’a affecté la représentation de ce continent qu’il présentait comme la terre de ses ancêtres.
Premier 45 tours en 1962
Né le 30 juillet 1944 dans la colonie britannique de Jamaïque au sein d’une famille modeste qui comptait déjà sept enfants, élevé dans un village rural par son père et sa grand-mère, James Chambers – à l’état civil – est envoyé à Kingston, la capitale, alors qu’il n’a qu’une dizaine d’années. Le jeune garçon, qui ne se contentait pas seulement de chanter à l’église, mais dès qu’il en avait l’occasion, découvre d’autres styles musicaux à la radio.
Sur son île tout juste indépendante, l’époque est au ska (qui engendrera le rocksteady puis le reggae), à l’image de son premier 45 tours en 1962 produit par un vendeur de glaces sino-jamaïcain qu’il a convaincu de se lancer dans l’industrie musicale et auquel il recommande un autre chanteur en herbe croisé dans les rues afin qu’il l’enregistre : Bob Marley !
Alors qu’il avait cherché à percer en Europe avec un registre soul dès le milieu des années 60, Jimmy Cliff obtient son premier succès international au Brésil en 1968 tandis que sa chanson « Vietnam » séduit le public opposé à la guerre menée par États-Unis. Il se fait aussi connaitre sur les écrans en jouant le personnage principal du film devenu culte The Harder They Come (1972), dont il a signé une partie de la bande originale.
Tombé sous le charme de l’Afrique malgré les déboires de son séjour initial, il y devient rapidement le principal ambassadeur du reggae. Peu de temps après avoir embauché la choriste sud-Africaine Aura Lewis (que l’on entendra une décennie plus tard avec Maxime Le Forestier sur « Ambalaba »), il effectue en 1977 une tournée qui passe par le Sénégal, la Gambie, la Sierra Leone… Une partie des musiciens est recrutée sur place : parmi eux, le Malien Cheick Tidiane Seck, qui se souvient que Jimmy Cliff se faisait alors appeler Naïm Bachir. La conversion du chanteur à l’islam fait a posteriori figure d’étape sur un chemin spirituel complexe qui l’a amené à se pencher, sinon à embrasser différentes religions, prenant ses distances avec le mouvement Rastafari dont ses compatriotes reggaemen sont en général de fervents apôtres.
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