LAS, ou l’art de durer — Deux ans de majesté musicale

Il y a des albums qui explosent comme des feux d’artifice, brillants mais éphémères. Et puis, il y a ceux qui s’installent, lentement, solidement, comme une œuvre qui résiste au temps, à l’oubli, à la banalité. LAS, le chef-d’œuvre du groupe Zafem, appartient résolument à cette seconde catégorie. Deux ans après sa sortie, l’album continue non seulement de captiver, mais surtout de prospérer. Et c’est là que réside le véritable événement.

En cumulant plus de 140 millions d’écoutes sur quatre grandes plateformes de streaming (YouTube : 86,4 millions, SoundCloud : 21,7 millions, Audiomack : 18 millions, Spotify : 14 millions), LAS se hisse bien au-delà d’un simple « succès populaire ». C’est un phénomène culturel, un repère générationnel, un souffle de renouveau pour une industrie musicale haïtienne souvent trop enfermée dans ses propres codes.

Dès les premières notes, LAS séduit par sa maturité. Ce n’est pas un album produit à la va-vite, calibré pour faire danser et aussitôt oublié. C’est une œuvre pensée, écrite, composée avec un souci d’excellence rare. Dener Ceide et Reginald Cangé, en véritables artisans de la musique, ont su fusionner tradition et modernité : compas, zouk, R&B, touches de rock alternatif, ballades intimistes, tout se fond dans une signature sonore unique.

Chaque chanson est un chapitre, chaque arrangement un détail pensé pour durer. LAS ne cherche pas la hype. Il construit une atmosphère, une langue musicale, une émotion partagée. Il parle d’amour, de rupture, de mémoire, de silence, de société — avec une poésie directe, une justesse souvent bouleversante.

Le génie de LAS tient aussi à son positionnement : Zafem a démontré qu’il était possible de viser le haut niveau sans renier ses racines, qu’un album en créole pouvait entrer dans les playlists internationales, qu’on pouvait être indépendant sans être amateur.

L’album a été conçu comme un tout cohérent, avec une identité graphique forte, une stratégie de diffusion rigoureuse, un storytelling maîtrisé. Il a réintroduit la notion d’album-concept, dans un marché dominé par les singles jetables. Et il a surtout prouvé que la qualité pouvait rimer avec popularité.

En cela, LAS a fait école. Il a élevé les attentes du public. Il a influencé toute une nouvelle génération d’artistes haïtiens, qui comprennent désormais que l’ambition artistique n’est pas un luxe, mais une nécessité.

Mais au-delà de l’esthétique, LAS touche parce qu’il parle vrai. Il fait écho aux fêlures d’un peuple, aux espoirs d’une jeunesse en quête de repères, à la tendresse perdue comme à la résilience quotidienne. Il est une bande sonore de notre époque, une mémoire affective collective.

Dans un pays qui cherche encore ses équilibres, LAS nous rappelle que la musique n’est pas qu’un divertissement : c’est aussi une forme de pensée, un espace de consolation, un acte de résistance. Et quand une œuvre réussit à nous faire danser, pleurer et réfléchir à la fois, alors elle devient un monument.

Deux ans après, LAS n’est pas une page tournée. C’est une page encore vivante, qui se réécrit chaque jour dans les cœurs, les écouteurs et les souvenirs. Ce n’est pas une fin, c’est un commencement. Et peut-être aussi une invitation — à faire mieux, à viser plus haut, à croire encore en la beauté.

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