Le 5 juin, comme chaque année, Haïti a commémoré la Journée mondiale de l’environnement. Les autorités ont publié des messages sur les réseaux sociaux, quelques ONG ont organisé des activités symboliques, et certains médias ont relayé des appels à la conscience écologique. Mais derrière cette mise en scène prévisible, un constat brutal s’impose : Haïti célèbre l’environnement sans arbres, sans stratégie, sans honte. Nous sommes une nation dénudée, littéralement. Et nous continuons de faire semblant.
Comment peut-on parler d’engagement environnemental dans un pays où plus de 98 % de la couverture forestière ont été détruits ? Où les dernières forêts tombent sous les coups de machettes et de charbonniers affamés, pendant que les autorités ferment les yeux ? Depuis des décennies, la déforestation progresse dans l’indifférence quasi-générale. Les promesses de reboisement se succèdent, creuses, vagues, oubliées aussitôt qu’elles sont prononcées. Il n’existe aucune politique publique cohérente, coordonnée et financée pour faire face à cette urgence. Aucun plan d’aménagement durable du territoire. Aucun soutien structuré aux alternatives énergétiques au charbon de bois. Rien.
Cette situation n’est pas le fruit du hasard. Elle est le reflet d’un abandon organisé, d’un cynisme d’État qui préfère la rhétorique creuse aux décisions courageuses. Les gouvernements successifs ont utilisé l’environnement comme un thème de campagne, une source de financement international, voire une décoration morale, sans jamais poser les bases d’un véritable engagement. Résultat : les collines d’Haïti sont pelées, les terres sont stériles, les pluies deviennent des torrents meurtriers, et les populations les plus pauvres sont les premières victimes de cette catastrophe lente et silencieuse.
Le reboisement n’est pas une mode. C’est une question de survie collective. Sans arbres, il n’y a ni eau, ni agriculture durable, ni résistance aux catastrophes naturelles. L’érosion dévore nos montagnes. Les sources s’assèchent. Les récoltes échouent. Et pourtant, l’État haïtien continue d’agir comme si planter un arbre relevait du bénévolat poétique ou d’une activité scolaire.
Non. Reboiser Haïti exige une mobilisation nationale, planifiée et financée. Il faut une politique environnementale dotée de ressources, de compétences, de continuité. Il faut une réforme énergétique urgente pour libérer le peuple du piège du charbon de bois. Il faut une volonté politique forte, capable de résister à la corruption, à l’indifférence, au court-termisme.
Ce qui nous manque, ce ne sont pas les arbres. C’est la volonté de les faire repousser. Haïti n’a plus le luxe de célébrer l’environnement en souriant devant les caméras. Il faut choisir : replanter ou disparaître. Les prochaines générations ne nous jugeront pas sur nos discours du 5 juin, mais sur notre capacité à redonner des racines à cette terre que nous avons laissée mourir.
Smith PRINVIL