Le 20 mai 2025, le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé s’est rendu au siège du Conseil Électoral Provisoire (CEP). Ce geste, à première vue protocolaire, prend une dimension politique et historique profonde. Il marque la réaffirmation d’un cap : celui de la souveraineté populaire, de la légitimité des urnes et de la sortie par le haut d’une transition trop longue, trop incertaine.
Dans un pays marqué par les retards électoraux chroniques, la désillusion citoyenne et l’ingérence étrangère, affirmer, comme l’a fait le Premier ministre, que « le droit de vote est sacré », c’est plus qu’une déclaration d’intention. C’est une promesse de rupture avec le cycle des pouvoirs provisoires, des gouvernements sans ancrage populaire et des décisions imposées d’en haut, sans consultation réelle du peuple.
La transition actuelle repose sur un fragile équilibre entre urgence sécuritaire, exigence démocratique et volonté de refondation. L’Accord politique du 3 avril 2024, évoqué comme feuille de route par le Chef du Gouvernement, fixe des priorités claires : sécurité d’abord, réforme constitutionnelle ensuite, et enfin élections générales. Ce triptyque est à la fois ambitieux et nécessaire. Mais il ne réussira qu’à une condition : que les acteurs politiques abandonnent la logique de calculs partisans au profit de l’intérêt national.
La visite du Premier ministre au CEP envoie aussi un message à l’international : celui d’un État qui entend assumer sa souveraineté électorale. Depuis trop longtemps, le calendrier politique d’Haïti est tributaire de pressions extérieures et de financements conditionnés. Or, il est temps de rappeler que le suffrage universel n’est pas une faveur que l’on quémande. C’est un droit que l’on exerce, que l’on organise, que l’on garantit. Et ce droit appartient d’abord au peuple haïtien.
Pour autant, nul ne peut ignorer les défis colossaux qui se dressent : une insécurité endémique, des institutions affaiblies, une population désabusée, une classe politique fragmentée. À ces obstacles s’ajoute la nécessité de reconstruire la confiance. La confiance entre le peuple et ses dirigeants, entre les institutions elles-mêmes, et entre Haïti et ses partenaires, à condition que ces derniers respectent les choix souverains du pays.
Ce moment est donc critique. C’est un point de bascule. Soit Haïti s’engage résolument sur la voie d’un renouveau démocratique, en plaçant le peuple au cœur de la décision politique. Soit elle risque de s’enfoncer encore davantage dans l’exceptionnalité, la dépendance et la rupture sociale.
Le Premier ministre a parlé de mission historique. Il a raison. Car il ne s’agit pas seulement d’organiser des élections, mais de recréer les conditions d’un contrat social. Il s’agit de faire des urnes non un rituel vide, mais une promesse de réconciliation nationale. Une passerelle entre l’État et les oubliés de la République.
Le chemin sera long. Mais s’il est conduit avec rigueur, courage et respect de la parole donnée, il peut permettre à Haïti d’écrire enfin une nouvelle page de son histoire.
Oui, Haïti a rendez-vous avec son avenir. Encore faut-il qu’elle s’y présente debout.
Smith PRINVIL
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