Cap-Haïtien, 18 mai 2025 – Tandis que les rues de la deuxième ville du pays vibraient au rythme des fanfares, des discours officiels et des parades à l’occasion de la fête du Drapeau, une scène autrement plus brutale se déroulait en marge des festivités. Un professeur, figure locale de la mobilisation pour de meilleures conditions de travail dans le secteur éducatif, a été violemment battu par des agents de la POLIFRONT et de l’USGPN. Son seul crime : réclamer le respect de sa dignité professionnelle.
Cette agression, survenue en plein centre-ville, n’est pas un simple débordement. Elle est le symptôme d’un système qui choisit de réprimer plutôt que de dialoguer, de parader plutôt que de réformer. Ce que ce professeur demandait, comme des milliers d’autres à travers le pays, ce n’était pas une faveur : c’était un salaire à temps, une salle de classe décente, une reconnaissance à la hauteur de la mission d’enseigner dans un pays en crise.
Ce même jour, l’État haïtien a mobilisé près de 400 millions de gourdes pour organiser les festivités dans le Nord. Déploiement logistique impressionnant, effets de communication à grande échelle, distributions de T-shirts, de drapeaux et de slogans vides de contenu. Pendant ce temps, dans les écoles publiques, la craie se fait rare, les enseignants désabusés et les élèves de plus en plus absents.
Plusieurs professeurs de la région témoignent anonymement. L’un d’eux confie : « Ma carte de débit est bloquée depuis des semaines. Je ne peux même pas acheter à manger. Et ils osent parler de valorisation de l’enseignement ? » Un autre, épuisé, soupire : « Ils veulent des cérémonies, pas des cerveaux. »
Depuis des années, les gouvernements successifs promettent la revalorisation du métier d’enseignant. Sur le terrain, la situation empire. Les grèves s’enchaînent, les écoles ferment, les élèves décrochent. Et désormais, revendiquer des droits peut valoir des coups. Le message est clair : enseigner en Haïti est non seulement une vocation sans reconnaissance, mais aussi une activité à risque.
Au-delà de l’indignation, cette affaire révèle une fracture fondamentale dans le contrat social haïtien. Un État qui matraque ses professeurs, c’est un État qui renonce à son avenir. Un gouvernement qui préfère financer des shows symboliques plutôt que de garantir l’éducation, choisit l’obscurantisme contre la lumière.
Le drapeau haïtien est né d’un acte de libération. Il est censé symboliser la dignité, la justice, la souveraineté populaire. Le voir brandi par ceux-là mêmes qui piétinent les droits les plus élémentaires de ceux qui forment les générations futures, c’est le voir trahi. Le sang versé par les ancêtres pour la liberté ne saurait justifier la violence d’un régime contre ses éducateurs.
Au Cap-Haïtien, ce 18 mai 2025, pendant que les puissants s’enivraient de patriotisme de façade, un professeur gisait au sol, frappé pour avoir osé parler. Ce n’est pas seulement un homme qu’on a humilié. C’est l’école. C’est le savoir. C’est l’espoir.
Et tant que ces injustices seront maquillées en célébrations, tant que l’État préférera les projecteurs à la réforme, le pays continuera de danser au bord du gouffre, sous les tambours de la démagogie.
Smith PRINVIL