Parmi les rares manuels scolaires qui ont su marquer des générations d’écoliers haïtiens, J’aime Haïti occupe une place singulière. Ce livret d’instruction civique et morale, pourtant modeste dans sa forme, portait une ambition immense : celle de forger des citoyens responsables, conscients de leur histoire, de leurs droits et de leurs devoirs envers la patrie. Aujourd’hui encore, dans les souvenirs de milliers d’anciens élèves, résonne le ton grave et chaleureux de ses leçons patriotiques. Et dans un pays où l’effondrement moral rivalise avec la faillite institutionnelle, sa réintégration dans le programme scolaire n’est pas un caprice nostalgique, mais une urgence collective.
J’aime Haïti, ce n’était pas seulement un livre. C’était une boussole morale. Une école de civisme, un éveil à la citoyenneté, un miroir dans lequel l’enfant haïtien apprenait à aimer son drapeau, à respecter ses compatriotes, à s’identifier à des figures historiques de bravoure et de dignité. Ce manuel, qui enseignait la valeur du travail bien fait, le respect de l’autre, l’amour de la vérité, et la fierté nationale, formait des êtres humains enracinés dans une conscience sociale et historique.
Et pourtant, dans le grand démantèlement de nos repères éducatifs, J’aime Haïti a disparu des rayons officiels. Victime de l’oubli ou d’un mépris systémique envers les piliers moraux de notre identité collective. Il a fallu qu’une pétition citoyenne soit lancée pour réclamer sa réintégration dans les écoles – preuve irréfutable que le peuple lui-même, malgré la désorientation actuelle, ressent l’absence de repères structurants.
Ce n’est pas une surprise. L’effondrement de l’État haïtien commence toujours par l’effondrement de l’école. Et l’effondrement de l’école commence toujours par l’abandon de l’éducation civique. Quand les jeunes ne savent plus d’où ils viennent, ils ne savent plus où aller. Quand on cesse de leur apprendre à aimer Haïti, il ne faut pas s’étonner qu’ils fuient ou qu’ils la trahissent. Une école qui n’enseigne pas l’amour du pays prépare l’exportation de l’intelligence et l’importation de la dépendance.
Réhabiliter J’aime Haïti, ce n’est donc pas une affaire de nostalgie. C’est une décision stratégique. C’est un geste de reconstruction nationale. Ce manuel, réécrit, adapté aux réalités d’aujourd’hui mais fidèle à ses valeurs fondatrices, pourrait devenir un levier essentiel pour refonder l’âme citoyenne haïtienne. Car l’amour de la patrie ne naît pas dans les discours politiques ou les promesses d’ONG : il s’inculque dès l’enfance, dans la salle de classe, au rythme des textes qui enseignent le respect, la solidarité, et la dignité.
Le moment est venu de tirer un trait sur l’école aliénante et coloniale, celle qui forme des exécutants sans conscience. Le moment est venu d’exiger une école républicaine, enracinée dans les valeurs de Dessalines, de Catherine Flon, de Charlemagne Péralte. Une école qui ne forme pas des esclaves modernes, mais des citoyens libres.
Réintégrer J’aime Haïti dans nos écoles, c’est rallumer une flamme. C’est affirmer que malgré les ruines, malgré les dérives, nous croyons encore à une Haïti debout. Et nous voulons que chaque enfant, chaque élève, chaque futur citoyen, apprenne à dire avec force, avec cœur et avec espoir : J’aime Haïti.